Au bas de l'escalier

Au bas de l'escalier

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J'ouvre la porte de la cave tout doucement. Comme toujours, une odeur de moisi m'assaille les narines. Je déteste cette odeur. Oh, ça ne sent pas vraiment le moisi; plutôt un mélange d'humidité, de chaleur et d'obscurité. Mais pour moi c'est pareil et quelque chose recule dans ma poitrine rien qu'en humant cet air fétide.

Je dois descendre. Mes doigts cherchent nerveusement l'interrupteur le long du mur. Je dois peut-être descendre mais je n'irai pas dans le noir. Ça, il n'en est pas question! Sébastien peut bien se moquer de moi, personne ne m'obligera à me casser une jambe en descendant dans ce trou à l'aveuglette.

Ah, voilà l'interrupteur.

Zut. Je vais devoir y aller maintenant.

L'oreille aux aguets, je scrute le bas de l'escalier. Au fond, il y a le sol en terre battue et le mur en béton des fondations. Chez nous, on l'appelle «la cave» mais dans le fond, ce n'est que l'espace vide entre le sol de terre nue et le plancher. À peu près un mètre de haut avec, ça et là, d'étroites tranchées creusées d'une cinquantaine de centimètres additionnels; c'est juste assez pour accéder aux tuyaux et aux fils qui rampent sous le plancher. Il y a aussi une chambre froide dont l'entrée est au pied de l'escalier.

Allez! Quoi qu'en dise Sébastien, je ne suis tout de même pas une mauviette. J'y vais tout de même d'un pas prudent sur la première marche, comme pour tester si elle peut supporter mon poids. Oui? Ça tient? Et re-zut! Je ne peux vraiment pas y échapper.  Je descends une autre marche en écoutant le grincement du bois sous mon pied. Les épaules serrées pour ne pas effleurer les murs qui, je le sais, sont remplis de toiles d'araignées et d'insectes grouillants, je continue ma descente aux enfers.

Arrivée en bas, le dos vouté pour ne pas me cogner la tête aux poutres du plancher, j'ai une drôle de sensation : un genre de tension, un point entre les omoplates comme si un regard haineux me transperçait le cœur d'en arrière. Je me sens observée. Je me retourne pour regarder la lumière au milieu de la cave et mon souffle s'arrête d'un coup sec.

Je le vois, là, debout dans une des tranchées de terre battue. Il me regarde. Son visage est couvert de longs poils brun-roux. Ses yeux noirs brillent dans la lumière de l'ampoule électrique. Le loup-garou retrousse alors ses lèvres épaisses et son sourire prédateur me glace le sang. Je suis paralysée.

Il fait claquer ses mâchoires en montrant ses crocs, comme un défi… ou une promesse. J'aperçois alors ses mains aux ongles noirs et griffus qui tiennent une tronçonneuse. Sans me quitter des yeux, il la soulève lentement et, d'un geste violent, la fait démarrer.

Je sais que je ne pourrai pas remonter l'escalier avant qu'il ne m'attrape les jambes. Une seule possibilité: la chambre froide aux murs en béton. Alors qu'il s'élance vers moi, je me tourne et j'agrippe la poignée de la porte de la petite pièce. Je n'arrive pas à l'ouvrir et j'entends que la bête se rapproche et sort de sa tranchée. Paniquée, je m'acharne sur la poignée, tirant de toutes mes forces et soudain, la porte s'ouvre et tout se fige.

La lumière est allumée dans la chambre froide. L'ampoule était pourtant brûlée. C'est pour ça que je devais descendre aujourd'hui. Ma mère me demandait de changer l'ampoule depuis presqu'une semaine. Et pourtant, là, elle est allumée. Ça ne marche pas. Ce n'est pas possible.

La main toujours sur la poignée de la porte, je me retourne lentement vers le loup-garou et lui dit: «Ce n'est pas possible. Je sais que l'ampoule est brûlée. C'est moi qui devais la changer. Ça veut dire que je suis en train de rêver et que tu n'existes pas.» C'est tout juste si je ne lui tire pas la langue.

La créature me jette un regard hargneux qui promet toutes les vengeances. Elle pousse un dernier grognement frustré et disparaît avec sa tronçonneuse dans un nuage de poussière.

«Voilà! C'est ça le rêve que j'ai fait cette nuit,» dis-je à Sébastien et ma mère au petit déjeuner. «Je vous avais dit que mon cauchemar était étrange. Moi, ce que je trouve fascinant, c'est que mon esprit fasse des raisonnements logiques même en dormant. Spécial, non?»

Sébastien lance un regard à ma mère qui reste muette et figée. Un doute m’envahit.

-- «Ben quoi? Qu'est-ce qu'il y a?

-- Comme tu ne te décidais pas à changer l'ampoule dans la chambre froide, Maman s'est tannée et m'a demandé de le faire à ta place.

-- Tant mieux. C'est vrai que j'aimerais mieux que ce soit toi. Ça me soulage finalement, surtout après mon rêve.

-- Ben oui mais… C'est que je l'ai déjà fait, dit Sébastien presque gêné.

-- C'est pas vrai!

-- Si. J'ai changé l'ampoule hier soir après que tu sois allée te coucher.»

Je me tourne vers la porte de la cave. Une ombre passe devant mes yeux et quelque chose en moi frémit. Dans ma tête, un hurlement…

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