(Texte de José St-Louis et de Marie-Pascale Michaux)1
Pourquoi un titre aussi irrévérencieux ? Parce que ça le dérange, lui, le Parent intérieur. Aussitôt dit, aussitôt critiqué. On l’entend vociférer qu’on ne peut rien écrire de sérieux, de convenable, de professionnel ou d’intelligent avec un titre pareil.
« Qu’est-ce que tes collègues vont en penser ? De ce langage pipi-caca, vulgaire, agressif et violent ! De ce manque total de savoir vivre, de politesse ou même… d’humanité. Quel bel exemple pour tes enfants. Et en plus, toi, le francophone fier de ta langue, tu reviens avec un langage de colon et un patois anglophone. J’ai tellement honte de toi. Et dire qu’après tant d’années d’expérience comme psychologue tu en arrive à ça ! J’espérais beaucoup mieux pour toi. J’imaginais une dissertation pertinente sur la psychologie humaine et ses difficultés avec des stratégies de changement basées sur les recherches scientifiques et les données probantes… » (Discours du Parent intérieur de José lorsqu’il a pensé pour la première fois à ce titre).
Eh bien… FUCK YOU, TABARNAK ! Ta Yeule ! Juste ta yeule ! C’est ce qu’on peut dire parfois pour qu’il se la ferme enfin, ou la mette en sourdine. Ça ne marche pas toujours aussi vite qu’on le souhaiterait, mais ça marche. À force de pratiquer. Au début, on l’écoute encore trop avant de le stopper. C’est normal, il a eu tellement raison pendant si longtemps, et ses intentions étaient bonnes, c'était pour notre bien après tout. Alors, on ne peut pas s’empêcher de vérifier s’il pense encore à des trucs utiles qui nous permettraient de nous épanouir davantage tout en nous gardant en sécurité dans un monde si dangereux à ses yeux. On sait qu’il n’a pas toujours tort, mais on dirait que plus on vieillit, plus il se transforme en vieux grincheux, « conseiller conservateur » qui ne suit plus pantoute notre évolution et qui ne tient plus compte de nos aspirations actuelles et du contexte dans lequel nous vivons maintenant.
En fait, notre Parent intérieur a très mal vieilli : il nous prend toujours pour un bébé, pour un enfant, alors que chacun de nous est devenu un adulte.
À qui s’adresse ce livre ?
À toi qui as été attiré par le titre ou l’image de la couverture, qui as ouvert ce livre à la recherche d’une réponse à tes questions. À toi qui es là, en train d’évaluer la pertinence d’une telle lecture, en train de te demander si ton Parent intérieur mérite de se faire parler comme ça. C’est à toi qui es en train d’exercer librement ton droit de choisir que nous voulons apporter notre aide, en te présentant des outils utiles, adaptés et conçus pour mieux composer avec ton Parent intérieur. C'est toi que nous voulons aider à devenir plus fort pour faire face à celui qui peut être un véritable tyran qui nuit grandement à ton épanouissement personnel.
Te rendre plus fort grâce à la connaissance. Découvrir comment ce Parent (tyran) s’est créé pour mieux comprendre à quoi il sert. Pour apprendre à composer avec lui et le faire taire lorsque nécessaire. Découvrir le type de relation qu’il entretient avec la partie Enfant et la partie Adulte en toi, et apprendre à améliorer celle-ci pour qu’elle soit plus harmonieuse.
Dans ce livre, on parlera donc d’Analyse transactionnelle (AT), d’épanouissement du Soi, de nos personnages intérieurs, d’introjections et de projections, de distorsions cognitives et d’idées déraisonnables, de besoin d’approbation ou d’évitement, d’affirmation de soi ou de droit d’exister, de nos mécanismes de défense et de nos schémas de personnalité, de peur de l’abandon ou de peur de l’envahissement, de notre lumière intérieure et de l’apprivoisement de notre part d’Ombre, des pressions qu’on choisit de se mettre et des dépressions qui s’ensuivent, de gestion et d’expression des émotions agréables (joie, bonheur, etc.) ou désagréables (peine, colère, anxiété, etc.).
Attention !
Malgré son titre provocateur, ce livre se veut un accompagnement sur le chemin du respect, de la bienveillance et de la compassion. Envers soi d'abord et avant tout mais, éventuellement aussi, envers les autres. Nous croyons sincèrement et profondément que le respect de l'autre commence par le respect de soi, que la compassion pour l'autre grandit à travers la compassion pour soi et que la bienveillance envers l'autre a ses racines dans la bienveillance envers soi. Ce livre se veut donc une oeuvre positive pour accompagner ceux qui ressentent un immense vide dans leur coeur afin de les aider à passer de l'état de carence à un état d'auto-suffisance comblée qui peut se tourner vers l'autre par choix et désir plutôt que par besoin démesuré.
Alors, si tu as déjà tendance à dire fuck you à tes parents (intérieurs ou extérieurs), aux représentants de l'autorité, aux voisins ou au monde entier, nous espérons que tu trouveras ici des pistes pour comprendre cette colère immense ou cette révolte dévorante qui t'habitent afin de t'aider à t'en libérer pour te réapproprier le pouvoir sur ta vie. Si tu es plutôt écrasé par toutes ces pressions et ces attentes à satisfaire au point d'en faire des crises d'anxiété et que tu ne sais plus où donner de la tête, à moitié épuisé ou brûlé, et pris dans une roue qui tourne sans fin pour te ramener constamment au même point, nous espérons que tu trouveras ici des pistes pour t'aider à te prendre par la main et te relever pour marcher désormais plus léger et d'un pas confiant sur le chemin vers la destination de ton choix.
Écouter ses petites voix intérieures
On dit souvent qu’on doit écouter sa petite voix intérieure; toutefois, on oublie généralement de nous préciser laquelle alors qu’il y en a une multitude. De plus, si certaines expriment ce qu’on a au fond du cœur, d’autres révèlent plutôt des idées qui semblent venir d’ailleurs, de quelque part au-dessus de nous. Ces dernières ont tendance à prendre la forme d’idéaux formulés comme des proverbes, des principes, des lois qu’on se sent fier de suivre, qui entraînent généralement l’approbation de notre entourage ou du moins de personnes significatives autour de nous et qui provoquent un tas de critiques internes (ou externes : des autres) lorsqu’on ne les suit pas. Si nous prenons le temps d’observer et de noter ce type d’idées et de critiques, nous commençons à tracer le portrait de ce Parent intérieur. C’est ainsi que nous pouvons le trouver et le différencier de nos autres voix intérieures. Pourquoi le trouver ? Pour mieux le comprendre, le reconnaître quand il parle pour nous, profiter des aspects positifs et sécuritaires qu’il nous transmet et, surtout, pour nous libérer des entraves qu'il pose parfois à notre épanouissement personnel.
D’où vient ce Parent intérieur ?
Quand nous venons au monde, nous ne sommes qu’un enfant. Cet enfant réagit spontanément à l’univers qu’il rencontre et qui lui appartient tout entier, même s’il est incapable de le différencier de lui-même. Tout est lui et tout est là pour lui. À l’intérieur comme à l’extérieur, il est ce que nous allons appeler tout au long de ce livre, l’Enfant-spontané. Vous pouvez l’imaginer comme une graine d’arbre qui contient en elle tout ce qu’il faut pour devenir un arbre majestueux et prospère, à condition d'avoir les conditions nécessaires à son développement. Ainsi, pour les arbres, c’est assez simple : une graine de sapin va devenir un sapin.
L’Enfant-spontané est curieux et cherche à s’épanouir. Il explore le monde et déploie ses ailes pour devenir tout ce qu’il peut être, même s’il n’a aucune conscience de ce que c'est. Un sapin ne sait pas vraiment qu’il est un sapin, mais il cherche à le devenir quand même, à s’épanouir pleinement, à exister totalement.
Mais l’Enfant-spontané existe et vit dans un monde qu’il ne connait pas, qu’il ne comprend pas, et il n’a aucune idée des dangers qui l’entourent. S’il n’apprend pas rapidement à composer avec son environnement de manière plus prudente, il ne survivra pas. Il lui faut des réflexes de survie rapides et sans remises en question. La réflexion, le jugement, les nuances, ce sera pour plus tard. Sinon, c’est la mort assurée.
Heureusement pour nous, les enfants humains naissent généralement dans un monde pourvu d’adultes pour prendre soin d’eux. Ils sont entourés d’un parent ou deux et/ou d’autres adultes significatifs pouvant jouer un rôle parental. Pour permettre à cet Enfant spontané de survivre, ces figures parentales serviront de guides, de coachs et d’arbitres.
Prenons comme exemple le moment où un enfant voit un rond de poêle allumé pour la première fois. Spontanément, sa curiosité ou son émerveillement peuvent l’amener à vouloir y toucher, sans se douter des dangers qui le guettent. Bien sûr, un parent va intervenir et l'empêcher de le faire en lui disant non pour le protéger de lui-même. Et cette scène va se répéter maintes et maintes fois. L’enfant va apprendre peu à peu que c’est interdit par « l’arbitre de service », sans vraiment comprendre que c’est dangereux. Il va enregistrer progressivement que c’est interdit. Comme dans la vieille chanson de Sardou2 :
J'ai d'abord marché à pied
Sur quatre pieds, les yeux rivés
Sur un cheval mécanique
Qui était dans ma chambre à coucher,
Et comme tout se passait bien,
J'ai voulu m'avancer plus loin
Mais quand j'ai pris l'escalier,
Une voix très forte a crié:
"Pas dans l'escalier: interdit aux bébés!"
"Pas sur le palier: interdit aux bébés!"
"Sors de la cuisine: interdit aux bébés!"
"Touche pas la télé: interdit aux bébés!"
Et comme tout c'qui brille, c'est pas pour les bébés,
Mais dites-moi ce qui reste aux bébés?
Et un jour, personne ne sera là pour lui rappeler l’interdit. Il va pouvoir enfin s’approcher de cette belle lueur rougeoyante pleine de promesses. On peut l’imaginer, ramper ou marcher à petit pas, comme un espion, en regardant autour de lui pour vérifier si personne ne le voit, monter sur une chaise pour s’approcher avec espoir, enfin seul avec l'objet de sa convoitise. Il tend la main, commence même à en sentir la chaleur et là, soudainement, il entend crier : « Non ! Ne touche pas à ça ! C’est dangereux ! » Et il retombe presque par terre pour échapper au vilain gardien. Mais il n’y a personne autour de lui, car la voix est venue de l’intérieur. Il a intériorisé la voix de son parent. C’est comme ça que nait, progressivement, le Parent intérieur.
Description du CA intérieur
Une façon de mieux comprendre les aspects positifs et négatifs du Parent intérieur est de décrire ce que j’appelle le Conseil d'administration (CA) qui nous habite. Pour se faire, nous commençons par utiliser les 6 facettes de la personnalité décrites par Éric Berne (voir Petitcollin, 20033), le père de l’Analyse transactionnelle (AT).
À ce CA siègent donc en permanence 6 personnages importants : l’Enfant spontané, l’Enfant soumis, l’Enfant rebelle, le Parent nourricier, le Parent critique et l’Adulte. L’AT décrit bien comment chacun de ces personnages apparait dans notre développement depuis la naissance pour construire la structure de notre personnalité. Quand un tel développement s’est fait dans un contexte parental aidant et chaleureux, une personne peut se retrouver à l’âge adulte avec une structure de la personnalité équilibrée, disposant de 6 facettes complémentaires et fonctionnant en synergie :
Un Enfant Spontané pour la gaieté, la créativité et la satisfaction de ses besoins vitaux, un Enfant Adapté Soumis pour lui permettre de vivre en groupe et d'être adapté à la société, un Enfant Adapté Rebelle pour s'affirmer et oser remettre en cause l'ordre établi, un Adulte pour capter et comprendre le monde environnant, un Parent Nourricier pour prendre soin de lui-même et de sa progéniture et un Parent Critique, gardien de sa morale et de son autodiscipline. (Petitcollin, 2003, p. 42-43)
Par contre, il arrive souvent que :
À travers une éducation stupide ou maladroite, la structure sera déséquilibrée, certaines facettes ayant été hypertrophiées au détriment des autres. Par exemple, on peut trouver un Enfant Spontané et un Enfant Adapté Rebelle complètement étouffés, un Parent Critique en position de dominant tyrannique, un Adulte peu stimulé, un Parent Nourricier totalement conditionné à répondre aux besoins des autres au lieu de répondre d'abord à ses propres besoins et un Enfant Adapté Soumis placé en insécurité permanente. Quand certaines facettes sont écrasées par les autres, le dialogue intérieur est moins convivial et peut même devenir destructeur et inhibiteur. (Petitcollin, 2003, p. 44-45)
L’importance d’un Adulte président du CA
C’est à ce Parent critique (décrit ci-dessus) devenu trop dominant et tyrannique que nous devons dire « Fuck you, NON ! C’est assez ». Plus il est tyrannique, plus nous devons nous objecter. Comme dans un CA, nous imaginons très bien stimuler notre Adulte pour qu’il utilise toutes ses capacités terre à terre afin de diriger le conseil. En tant que Président du CA, il accomplit trois fonctions importantes : 1) gérer les tours de paroles en veillant à ce que tous les membres aient pu s’exprimer équitablement; 2) rappeler à chacun la mission principale de l’entreprise (l’organisme) : « le plein épanouissement personnel »; et 3) permettre de trouver ensemble des solutions efficaces et cohérentes pour cheminer progressivement vers l’accomplissement de cette mission. Comme un bon Président de CA, il cherche à prendre des décisions plutôt solidaires (unanimes, rassembleuses, tenant compte des besoins et ressources de chacun).
Pour y arriver, cet Adulte président pourrait demander à l’Enfant rebelle d’exprimer bien fort ses objections et argumenter sur le bien-fondé des directives du Parent critique et, à l’Enfant spontané, de nommer son ressenti et ses idées créatrices pour faire avancer les discussions vers un plus grand épanouissement personnel. Il pourrait guider le Parent nourricier pour qu’il mette ses talents au profit de l’ensemble de la structure plutôt que de se centrer sur les autres. Ce bon parent intérieur pourrait ainsi utiliser sa bienveillance pour sécuriser les trois enfants, notamment l’Enfant soumis qui est souvent trop anxieux. Il pourrait aussi temporiser de temps en temps les deux adversaires les plus réactionnels (le Parent critique et l’Enfant rebelle) pour qu’ils en viennent à s’exprimer avec un peu plus de nuances. L’Adulte président pourrait aussi rappeler au Parent critique que son savoir peut être très utile pour cheminer en toute sécurité et qu’un peu de souplesse dans l’application des règlements favorise davantage l’épanouissement de soi.
Dans le but de bien vous faire comprendre qui est cet Adulte président et avec qui il doit travailler, vous trouverez dans les prochains chapitres une description de chacun des membres de ce CA intérieur, basée en partie sur les 6 facettes de la personnalité selon l’AT telles que décrites par Petitcollin (2003) et auxquelles nous avons ajouté nos propres descriptions basées sur nos expériences en pratique privée et nos échanges multidisciplinaires (s’étalant sur plus de 30 ans).
À suivre dans : CA-2 : Trouve ton « Enfant intérieur » et dis-lui « I Love You ! »
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Notes, références et légendes des figures (numérotées de haut en bas)
1 : Ce texte (et ceux qui suivront avec la mention CA) est écrit en collaboration avec Marie-Pascale Michaux, ma grande complice de toujours sur les plans personnel et professionnel. Il constitue l’embryon du livre que nous rêvons d’écrire ensemble depuis un moment déjà. Marie-Pascale Michaux est intervenante psychosociale en relations humaines et technicienne en éducation spécialisée; elle a une formation en hypnose clinique et a étudiée à l’université en travail social. Pour plus d’informations, voir son site : http://www.lesbruines.com .
2 : Extraits de la chanson Interdit aux bébés, de Michel Sardou. Sur l’album La maladie d’amour (1973). Musique de Jacques Revaux et texte de Michel Sardou.
3 : Petitcollin, C. (2003). S'affirmer et oser dire non. Suisse : Éditions Jouvence.
Fig. 1 : Protection paternelle (José St-Louis, 19 février 2012, aquarelle sur papier, 12" X 16"). Travail du rêve par la méthode du conte à partir d'un dessin, dans le cadre du cours ATH-2002 : L’imaginaire en art-thérapie.